Une attaque « audacieuse », « parfaite ». Tel est le commentaire des officiers et des experts proches de la défense en Israël, au sujet du raid mené le 14 septembre par l’Iran contre des installations pétrolières saoudiennes. « L’attaque nous a surpris, elle fut une parfaite surprise pour les États-Unis malgré leur présence militaire dans la région, et elle a été parfaite à tout point de vue militairement. Nous ne pensions pas que les Iraniens étaient parvenus à ce niveau », assure Ron Ben-Yishai, observateur réputé de ces questions à Tel-Aviv, rencontré à l’invitation de l’Europe Israël Press Association (EIPA). Même si, au Moyen-Orient, « Israël conserve la supériorité dans les domaines du renseignement, de la puissance aérienne et des technologies comme le cyber », ajoute-t-il, l’épisode marque un tournant. (Le Monde)
Pour un hommage, c’est un hommage. Les experts proches de Tsahal, comme l’écrit avec pudeur Nathalie Guibert du Monde, ont pris une claque après l’opération audacieuse sur les deux installations pétrolières saoudiennes. L’article étant payant, nous allons en résumer le propos. Seconde citation exhaustive :
« Le raid porte clairement la marque d’une agression iranienne contre laquelle nous nous défendons de manière proactive », résume le colonel Jonathan Conricus, porte-parole de l’armée de défense d’Israël (Tsahal). « Toute la chaîne militaire iranienne a fonctionné », souligne Ron Ben-Yishai : une opération de renseignement d’une grande précision sur les cibles, une planification réussie, un secret maintenu jusqu’au bout. Le raid, nié par Téhéran, aurait été conduit sous commandement de l’armée de l’air, en association avec les gardiens de la révolution. Une vingtaine de drones kamikazes portant chacun une vingtaine de kilos d’explosifs ont endommagé l’usine de traitement du brut d’Abqaiq. Mais ce sont surtout les quatre missiles de croisière qui ont détruit le champ de Khurais qui alertent les militaires israéliens.
Pour ces mêmes experts, la « salve » n’est pas partie du Yémen comme l’affirme la version officielle houthie, mais de l’Iran qui a donc réussi une « frappe dans la profondeur » malgré toutes les défenses américano-saoudiennes. La frappe dans la profondeur était jusqu’ici l’apanage des Israéliens qui frappaient qui ils voulaient, où ils voulaient, notamment en Syrie (Golan, Damas, Homs) sur les installations militaires ou les transferts d’armes de l’Iran ou du Hezbollah. La grande crainte des Israéliens se situe derrière le message envoyé aux Saoudiens : nous pouvons frapper chez vous. Même si les défenses sol-air et le renseignement aérien des Israéliens est réputé plus fiable que celui des Saoudiens, dont l’armée et son commandement laissent à désirer, la menace n’est plus du tout fantôme (troisième citation et après on arrête) :
La vulnérabilité d’Israël est jugée exceptionnelle, en raison de la concentration de ses infrastructures sur un petit territoire – 50 % de son eau potable provient de cinq usines de désalinisation, 28 % de son électricité de deux sites seulement, par exemple.
Les Israéliens, qui mènent une guerre offensive quasi-ouverte contre l’Iran et le Hezbollah sur le sol syrien, avec plusieurs milliers de frappes depuis deux ans (contre 200 officiellement), se voient désormais dans l’obligation d’imaginer une défense, c’est-à-dire d’être une cible. Ce qui ne pouvait pas être le cas avec les moyens technologiquement limités du Hezbollah. Mais le Hezbollah est en train de s’armer, et de façon stratégique : cette armée libanaise n’est plus seulement une armée de défense.
- Le point rouge représente Kuneitra, une base avancée de la force Al-Qods iranienne et des hommes du Hezbollah, sur le plateau du Golan syrien, en face du Golan occupé par Israël...
« Cet incident est une histoire très déplaisante avec des conséquences très déplaisantes pour les marchés mondiaux [du pétrole] » (Le porte-aparole du Kremlin)
La question se pose du rôle de la Russie dans cette opération, qui émane selon tous les acteurs du milieu de l’Iran. Une Russie qui a été très discrète pendant tout le barouf mondial. Officiellement, la Russie a « appelé au calme », alors que Trump brandissait comme à son habitude des menaces disproportionnées, par exemple une attaque cyber massive contre l’Iran ou une attaque à coups de missiles contre les installations pétrolières iraniennes.
Pour l’instant, les exportations de pétrole iranien sont limitées par les sanctions américaines, mais les Russes et les Chinois n’entendent pas obéir au diktat de Washington : les satellites américains ont déterminé en août 2019 que des tankers iraniens avaient éteint leur signal satellite, et au moins 12 d’entre eux sur 70 ont livré du brut à la Chine. Le jeu prend donc des proportions plus importantes, il ne s’agit pas que de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Les alliances sont en train de mondialiser la donne.
En voulant bloquer les exportations de pétrole iranien, réduites au quart de leur capacité, indirectement, les Américains ont réduit les exportations saoudiennes de moitié ! Coup pour coup semble être le nouveau mot d’ordre dans la région, où Israël, protégé par le grand frère américain, avait jusque-là l’habitude d’être le maître du ciel et de la terre. Aujourd’hui, il va falloir partager.
Le 6 août 2019, les Iraniens présentaient trois nouveaux types de missiles téléguidés de haute précision, un mois avant les frappes du 14 septembre :
Les trois types de missiles - nommés « Yassin », « Balaban » et « Ghaem » - ont été élaborés par le ministère et Sa-Iran, une entreprise d’État liée au secteur de la défense. Les missiles « Yassin » sont téléguidés, avec des ailes rétractables. Leur portée va jusqu’à 50 km et ils peuvent être tirés d’un appareil avec ou sans pilote, selon Fars. Les « Balaban » sont guidés par des GPS et capteurs, avec des ailes rétractables et peuvent être installés sous les avions. Les « Ghaem » sont des missiles à guidage thermique dont la précision de frappe est d’environ 50 cm. (Le Figaro)
Le 3 février, l’Iran présentait au monde entier (et surtout à Israël) un missile de croisière d’une portée de 1350 km :
On rappelle que la distance entre la première ville iranienne près de la la frontière irakienne et Tel-Aviv est à peine de 1 200 km (!) par la route... Mais avec les bases iraniennes ou pro-iraniennes en Syrie et au Liban Sud, il n’est plus besoin de missiles d’aussi longue portée, d’autant que la précision diminue avec la distance.
De la même façon, si les 4 missiles antisaoudiens ont été tirés de l’Iran, il n’était point nécessaire de leur faire prendre une route par Bassora et Koweït-City, il suffisait de traverser les 300 km du golfe Persique pour frapper l’installation pétrolière d’Abqaiq en Arabie saoudite...
Une émission de France 5 sur le sujet le 8 mai 2019 résumait la tension et les attaques potentielles :
Une émission de Press TV (iranienne) du 25 septembre 2019 sur la position iranienne :